Coq-chéri

Photographie Hervé Bonnat

Je suis Béatrice -souris -grise et j’ai fabriqué mon nom moi-même dans une famille qui n’a pas le loisir de s’interroger. On dort au chaud, on mange à sa faim en trottant du soir au matin, dans le grenier d’une grange tout à fait correct. Mais, on n’a jamais le temps de déployer son identité, certes on est occupé, mais aussi on est tellement plusieurs. Comment se sentir singulier dans la multitude ? Comment se vivre comme ce que l’on est ? J’en étais là avec ma peur quand je l’ai entendu lui… détacher un cri splendide et excessif dans l’infini de la nuit.

Depuis, chaque matin, je quitte mon clan endormi pour écouter ce chant qui me réveille alors tout à fait. Je ne me peux pas m’empêcher de chercher le meilleur point de vue pour aller au plus près de ce bonheur. Autant le dire, je suis dingue de lui. C’est quelque chose ou plutôt c’est quelqu’un. Ce n’est pas si facile d’aimer et je n’ai pas voulu la force de cette adoration. C’est une épreuve, la foudre. Son chant est parvenu à faire de moi une âme de madone dans un corps de rongeur. Les yeux même fermés, ce que je vois n’est pas une contemplation vague. C’est mon coq-chéri qui lance la vie avec derrière lui un cercle de lumière trouant la nuit. C’est en mon cœur. Quel serait le délice du toucher d’un être aussi suprême ? Pourtant sa voix me suffit ! Il annonce le jour et sa chaleur. Ma convoitise charnelle pourrait me torturer, mais cette silhouette apaise mon trouble en même temps qu’elle le provoque ! Dans le frôlement d’une caresse, tous les êtres partagent ce moment où l’on cesse de se définir pour devenir le ravissement du beau narcisse devant sa fontaine. Dans le peuple des rongeurs, ce rêve intérieur est difficile, il faudrait sortir des anonymes, accéder à d’autres métaphores. Est-ce imaginable ? Suffirait-il de passer de la fleur à l’arbre ? Faut-il faire le pari que ce chant le propose ? Dans ce cri, tous les êtres vivants seraient un Narcisse aux multiples bourgeons qui chacun prendraient soin du monde. D’ailleurs, Cocorico veut dire : « C’est un matin de vie ». Cette jubilation excède tous les renoncements. Déjà, je sais que moi, Béatrice-souris-grise, je ne suis pas la seule qui vibre d’exister à cette image de Coq-chéri qui chante !

2 commentaires

  1. Bonjour,
    J’ai lu deux de vos histoires, celle-ci et celle sur les souris qui doivent nager pour survivre. Ce sont de belles allégories de nos sociétés, où la standardisation de l’individu et la compétition règnent en maître, certains acceptent, avant d’enfin se réveiller et de ne plus accepter. Je vous souhaite une bonne continuation.

    1. Je vous remercie de cette lecture. C’est très encourageant ! Je me permets de vous envoyer des liens vers un site qui propose des textes lus d’auteurs contemporains ou classiques. Cela pourrait vous intéresser !

      https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-animaux/#3

      https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-animaux/claude-fee-monsieur-bouillotte.html

      https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-nouvelles/claude-fee-la-nuit-blandine.html

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