Dessin Molly
Il était une fois une petite fille, qui s’appelait Pétronille et qui avait beaucoup de chance. Elle était très aimée par ses parents et avait de beaux cheveux noirs que tout le monde enviait. Mais, chaque matin à l’école, quand la maîtresse l’interrogeait, elle n’arrivait pas à se souvenir de la leçon qu’elle avait pourtant bien apprise la veille. C’était très triste d’entendre Mme Marre lui crier dans les oreilles :
– Pétronille ! la mémoire, ça ne se laisse pas à la maison !
Un après-midi qu’elle tournait tristement en rond dans la cour de la récréation, son amie Capucine vint la voir et lui dit :
– Ce n’est pas vrai ce que dit madame Marre ! La mémoire, on ne peut pas la laisser à la maison, regarde bien, elle est sûrement sur toi.
– Dans mes poches ?
– Peut-être, cherche bien…
– À quoi ça ressemble ?
Mais déjà, la maîtresse appelait les enfants pour se mettre en rang. Il fallait retourner dans la salle de classe. Il n’était plus temps de réfléchir ni de fouiller dans ses poches.
Chaque soir, sur le chemin de la maison, Pétronille avait l’habitude de discuter avec les animaux de sa vie. Ce jour-là, ce fut Toupie, une chienne au poil noir et blanc qui avait envie de bavarder. Alors Pétronille en profita pour lui demander si elle savait quelle forme avait la mémoire.
– La forme je ne sais pas, mais je sais que la mémoire c’est très bon !
– Vraiment ?
– Ah délicieux ! je te le promets ! D’ailleurs, tu viens de me donner une idée, il y a quelque temps j’ai enterré un truc à manger dans le secteur. Je vais aller le chercher ! Au revoir Pétronille.
La petite fille croisa ensuite Titouti, le merle à qui elle raconta son histoire. Elle lui demanda aussi :
– Est-ce que tu sais à quoi ça ressemble la mémoire ? Je voudrais tellement l’emmener avec moi quand je vais à l’école !
– Moi, je ne sais pas… mais c’est beau, la mémoire ! D’ailleurs, tu me fais penser à un ami qui habite tout près d’ici et qui a un plumage magnifique. Je vais aller lui rendre visite ! au revoir Pétronille.
Ils ont de la chance les animaux se disait Pétronille. Ils peuvent choisir ce qui est important, alors que nous, les enfants, il faut toujours obéir aux idées des grandes personnes !
– Ne crois pas ça ! Rien n’est jamais simple dans la vie ! lança une chenille qui se préparait à se changer.
– Bonjour Travesta ! je ne t’avais pas reconnue, qu’est-ce que tu fais ?
– Moi, je travaille, je n’ai plus le temps de m’amuser à marcher à toute patte sur les feuilles. Il faut que je me tricote un sac de couchage avec suffisamment de souplesse pour que les ailes puissent me venir et c’est seulement ensuite que je pourrais voler.
– Mais comment fais-tu pour te rappeler de tout ce que tu as à faire, ton programme génétique et tout ça ?
La chenille ne répondit pas, quel dommage… Ce qu’elle aurait pu dire aurait été certainement intéressant, mais elle était déjà en train de devenir une chrysalide… Pétronille se sentit bien seule. Heureusement un peu plus loin, elle croisa Jacquotin le lapin qui lui dit :
– Bonjour, Pétronille, est ce que tu veux bien m’aider à chercher des bonbons ?
– Tu manges des bonbons ?
– Oui, comme tous les gens bien éduqués !
– Où les trouves-tu ?
– Mais Pétronille ! dans ta poche, regarde dans ta poche !
– Oh, mais oui ! En voilà de jolis bonbons rouges ! Quelle surprise ! Comme ils sont beaux !
– Tu veux dire que ces bonbons, tu ne les reconnais pas ?
– Non vraiment, je ne les reconnais pas !
– C’est moi qui te les ai donnés ce matin, sur le chemin.
– Je ne m’en souviens pas !
Le lapin était vraiment très étonné. Il se gratta entre les oreilles et déclara en souriant à sa jeune amie :
– Tu sais Pétronille, c’est normal.
– Pourquoi dis-tu que c’est normal que je ne me souvienne pas que tu m’aies donné des bonbons ? Et que je ne me souvienne pas que je les aie mis dans ma poche ?
– C’est normal, parce que ce matin, tu ne faisais que répéter ta leçon, tu ne m’écoutais pas ! Tu ne regardais rien, tu ne reniflais rien, tu ne goûtais rien, tu ne faisais que répéter ta leçon !
– Comme c’est étrange, je ne m’en souviens pas ! Mais tu dis que tu m’as vu répéter ma leçon ?
– Oui vraiment !
– Alors, tu pourrais aller dire à la maîtresse que j’avais appris ma leçon et que sur le chemin de l’école je savais la réciter.
– Non.
– Pourquoi non ? Tu ne veux pas m’aider à ne plus me faire disputer ?
– Je ne te dis pas non je ne veux pas t’aider, je te dis non parce que j’ai une autre idée… à demain matin !
Le lendemain sur le chemin de l’école, Pétronille retrouva Jacquotin qui lui parla ainsi :
– Je vais te donner ces bonbons à mettre dans ta poche, mais en même temps pour que tu t’en souviennes nous allons : écouter les oiseaux, siffler, regarder les nuages, respirer le vent parfumé et goûter ses petites pastilles rouges à la framboise.
– Tout ça, on a le droit de faire tout ça, quand on apprend ses leçons ?
– Oui ! C’est même conseillé, tu peux aussi chanter… allez à ce soir…
Le soir, sur le chemin du retour à la maison, Jacquotin attendait avec impatience son amie, mais quand il la vit, il devina tout de suite qu’il s’était passé quelque chose de triste. Car hélas ! Pétronille pleurait.
– Pourquoi, ces larmes ?
– J’ai encore tout oublié, la leçon et tout et tout, et toute la journée Mme Marre m’a encore crié dans les oreilles !
– Est-ce que tu as retrouvé les bonbons ?
– Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas !
Le lapin l’encouragea à regarder si les petits bonbons étaient toujours au fond de sa poche. Il remarqua qu’une fois de plus, Pétronille ne se souvenait pas de les y avoir mis. Jacquotin lui dit que ce qui lui arrivait méritait une très grosse réflexion et décida, sur-le-champ, d’aller étudier la question en s’allongeant dans l’herbe fraîche toute la nuit.
Le lendemain matin, il se leva de bonne heure, déjeuna de quelques carottes sur la route et dès qu’il la vit, il s’écria :
– Pétronille ! le problème ce sont tes poches ! Mme Marre te fait tellement peur que tu oublies que tu as des poches !
– Comment tu peux le savoir ? Tu n’es pas un kangourou !
– Moi non, c’est vrai… Enfin, tout de même, je connais un ami qui a déjà dessiné un kangourou… Mais si mademoiselle je-sais-tout ne veut pas de mon aide, je peux m’en aller !
– Non excuse-moi ! Je t’écoute. Tu sais quand on est tracassé, on est de mauvaise humeur.
– Je ne t’en veux pas du tout, mais fais attention quand même !
La chienne Toupie qui se promenait dans les environs, s’approcha des deux amis et demanda si elle pouvait déposer juste un grain de sel dans la conversation. On lui répondit que oui. Alors, tous les trois se mirent à penser intensément. Il fut question de sel, de sucre, d’histoire, de géographie jusqu’à ce que Toupie se mette à courir partout ! C’était toujours comme ça quand elle avait trouvé une bonne idée. En jappant, voilà ce qu’elle expliqua :
– Jacquotin, roi des crottes et des lapins ! écoute-moi bien : la mémoire de notre amie Pétronille a besoin de bonbons !
– Nous le savons tous que les enfants ont besoin de bonbons, tu ne nous apprends vraiment rien ! répondit le lapin un peu vexé.
– Mais pas dans les poches ! il faut qu’elle voie les bonbons, qu’elle puisse les renifler, les toucher. Si elle apprend sa leçon en mangeant des bonbons le soir, c’est très bien, mais le lendemain il faut qu’elle les sente, qu’elle puisse les renifler et les toucher pour retrouver sa leçon.
– Et donc ? demanda Pétronille les yeux tout écarquillés…
À ce moment-là, après ces paroles, il se passa alors quelque chose d’extraordinaire : Jacquotin, Toupie, Titouti furent rejoints par des dizaines de petits animaux qui tous se mirent à danser en farandole et à parler tous ensemble avec frénésie ! Quelle fête ! Quel bonheur ! La petite fille était émerveillée. Au milieu de ce joyeux vacarme, Titouti quitta bientôt la branche sur laquelle il s’était mis à chanter pour s’approcher doucement d’elle. Ce gentil merle lui recommanda maintenant de fermer les yeux.
– Oui cria Pétronille qui était tellement contente que ses amis lui fassent, au milieu de cette fête, une surprise…
Elle mit ses mains sur son visage et fit un gros effort pour ne pas ouvrir ses doigts et regarder au travers. Des oiseaux tournèrent autour de sa tête. Elle les entendait rire et chanter. Puis, Toupie posa sa patte sur son bras, c’était le signal pour ouvrir les yeux. Déjà, Jacquotin était devant elle, et lui tendait un miroir. Pétronille se vit toute jolie et se mit à applaudir, car les animaux lui avaient confectionné une coiffure magnifique, avec des petites nattes au bout desquelles étaient accrochés des bonbons. Tout le monde chantait maintenant en chœur :
– Vive la naissance des bonbons dans les cheveux !
Ses amis avaient créé cette superbe coiffure, pour qu’elle garde sa mémoire à portée de mains. Ces jolies tresses avec des petits bonbons allaient changer sa vie. Il était certain qu’elle sentirait de bonnes choses et que cet amusement l’aiderait à travailler. C’était donc ça la forme de la mémoire ! C’était le plaisir !
Depuis, chaque jour de classe, Mme Marre dit à Pétronille :
– Bonjour, Pétronille, comme tu as une belle coiffure !
Et chaque fois la petite fille lui répond :
– Oui, Mme Marre vous me l’avez déjà dit hier ! je m’en souviens bien !