La naissance des yeux en face des trous

Illustration Molly

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Il était une fois deux mésanges qui avaient construit, brindille après brindille, un nid dans un endroit formidable. C’était au cœur d’un chêne majestueux. Un arbre qui cachait dans ses branches, des petits trous d’eau à boire, chaque jour, avant le lever du soleil. Les deux amoureux s’y plaisaient beaucoup et la femelle avait pondu des œufs. Depuis, à chacun leur tour, ils couvaient. Leurs cinq œufs étaient un trésor. Un matin, des bruits secs les réveillèrent et quatre fois un oisillon apparut ! Quelle joie ! Chacun s’était servi de cette petite dent spéciale sur le bec pour percer la coquille ! Quel bonheur de voir quatre jolis petits arriver dans la vie ! Il ne restait qu’un seul œuf ! Il se faisait attendre.

  • Sa coquille est peut-être encore trop dure ? demanda la mère
  • Quand je toque dessus ça m’a l’air mince. Le poussin peut en sortir ! D’ailleurs, ne nous appuyons pas trop fort… recommanda le père.
  • Que devons — nous faire, sinon attendre ?

Attendre ! dit le père qui commença son travail de parent en rapportant avec des petits cris tendres toutes sortes d’insectes à manger. Il y en avait beaucoup autour du nid. En ce temps-là, personne n’utilisait de pesticides. Il y avait de la vie absolument partout !Le lendemain, les petits réclamaient toujours plus et chacun des parents se dépêchait. L’œuf était au milieu du nid et prenait de la place. Les jours suivants, il gênait vraiment les mouvements des poussins qui eux grossissaient à vue d’œil. Et puis, un beau matin, le bruit commença et tous s’émerveillaient ! Lorsque le petit parut, chacun cria…

  • Oh ! dit la mère.
  • Ah ! dit le père.
  • Eh ! dirent les poussins.
  • Ouh dit un hibou qui traînait souvent dans les parages… Pour naître comme ça, après les autres, il ne faut pas avoir peur du coucou !

Ce dernier petit  tout mignon se montra gourmand comme les autres. Il grandit aussi vite qu’eux, mais le jour où il ouvrit les paupières, et bien… chacun remarqua que ses yeux n’étaient vraiment pas en face des trous.

  • Il a trop de chance !
  • Ah non, je n’aimerais pas avoir des yeux comme ça ! C’est moche !
  • Taisez-vous les poussins, la question n’est pas de savoir si ça vous plaît ! La question c’est de…
  • Quoi ? La question c’est quoi ? Hein dit Papa c’est quoi la question , demandaient, sans cesse, les poussins.
  • Il est temps de dormir, dit le père
  • Mais non, c’est le matin, chantaient tous les oisillons
  • Ah, tous les quatre vous allez apprendre à voler, lui il peut rester se reposer.
  • Oh le chouchou ! ce n’est pas juste !
  • Chut dit le père, ça suffit !

La mère était avec son dernier né et le regardait, tout en mettant de l’ordre dans ses plumes. Elle ne put s’empêcher de parler toute seule et de se lamenter :

  • Mais notre pauvre chéri qu’est-ce qu’il va bien pouvoir voir s’il n’a pas les yeux en face des trous ?
  • Ouh ! dit le hibou qui volait au-dessus du nid, ouh — ouh Il verra ce que nous autres nous avons appris à ne pas voir ! s’exclama ce grand-duc toujours prêt à prononcer des phrases impossibles à comprendre…

Le soir, la mère le répéta au père qui déclara :

  • Laissons dire… laissons dire…, tu sais comme moi qu’il est capable… d’appeler Dictum !

 

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À ce mot, la mésange se figea sur place. Dictum était une grosse poule qui se prenait pour une star. Elle décoiffait ses plumes n’importe comment. Quand elle était avec son ami Grand-duc, c’était encore pire. Ensemble, ils se croyaient les plus forts du monde et donnaient les conseils que personne ne leur demandait. Les deux parents craignaient leurs paroles. Ils avaient peur d’entendre que tout était de leur faute. Déjà, que ce n’était pas facile de répondre aux oisillons qui posaient toutes sortes de questions :

  • Pourquoi est-il comme ça ? Est-ce qu’il pourra pleurer ? Est-ce qu’il aura comme vous du chagrin ?

Car il arrivait qu’une larme glisse des yeux de leurs parents et tombe dans un petit trou d’eau de l’arbre, quand, que cela arrivait, en regardant leur nid, ils pensaient :

  • On n’est pas toujours malheureux quand on pleure, on a parfois juste besoin d’un peu d’amour.

Quelques jours passèrent. Un soir, au moment de bien se blottir tous ensemble un des quatre oisillons qui étaient nés de bonne heure chercha à se faire entendre et voila ce qu’il dit :

  • Notre frère a un secret !
  • Lequel ?
  • Avec ses pattes, il tire sur la peau de son ventre et ça décale la peau de sa tête. C’est ce qui fait qu’il n’a pas les yeux tout à fait en face des trous… c’est tout. Ce n’est pas la peine d’en faire toute une histoire et de le trouver plus intéressant que nous !

D’abord, les parents ne dirent rien, comme on fait quand on veut réfléchir beaucoup. Puis se tournant vers le dernier poussin, la mère s’écria :

  • C’est vrai ?
  • C’est vrai quoi ? !
  • Ce que dit ton frère
  • Même pas vrai ! Ce que dit mon frère, c’est plume au derrière !
  • On ne parle pas comme ça ! dirent les parents en colère. Si tu continues, on appellera le coucou !

Dans cette forêt tous les oisillons avaient peur des histoires de coucou qui commençaient toutes comme cela : il était une fois une dame qui pondit un œuf dans un nid qui n’était pas du tout à elle. Cet œuf prit toute la place et toute la chaleur. Et puis très vite, un énorme poussin coucou naquit qui flanqua tous les autres œufs  par terre.

Cette nuit-là, dans le nid des mésanges, tout le monde s’endormit un peu inquiet. Mais dès le lendemain, constatant que tous leurs petits sans exception chantaient joliment, les parents reprirent courage. Pourtant quand les exercices de vols commencèrent, il devint difficile de garder sa patience…

  • Petit voyons ! fait comme les autres, détend tes pattes et lâche la peau de ton ventre, tu ouvriras mieux tes ailes ! disaient les parents agacés.
  • Pas envie de voler seulement de rigoler ! répétait le petit oiseau qui donc ne faisait aucun progrès…
  • Vous devriez en parler au grand-duc ! proposa Dictum qui passait par là.
  • Ah pas question ! et puis tous les deux, avec vos conseils vous pouvez bien aller vous faire voir ! dirent ensemble les parents.

 

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Mais, le lendemain, la poule revint encore plus décoiffée que d’habitude et se posa à côté du nid. Elle tenait dans son bec quelque chose de très coloré. Ce qui excita beaucoup les oisillons

  • Qu’est-ce que c’est ?
  • C’est vivant ?
  • La belle couleur !
  • On peut y toucher ?
  • Ça se mange ?
  • C’est comme ça une question ?
  • Écoutez-moi tous ! C’est un morceau de peau de clémentine ! expliqua Dictum qui la leur donna et se redécoiffa avant de courir et de décoller fièrement.

Les petits étaient contents. Ils fermaient un œil puis l’autre, c’était drôle à chaque fois de retrouver cette belle couleur orange. Et puis, le lendemain, dès la première heure avec leurs parents, à nouveau, ils essayaient de s’envoler. Seul le dernier-né refusait et préférait toujours s’amuser. Il avait percé deux trous dans l’ épluchure et regardait au travers. Cela faisait un masque. Dictum qui planait dans le ciel, le repéra et vint jouer avec lui.

  • Je te vois !
  • Je ne te vois plus !
  • Je te vois

C’était agaçant pour ses parents. Quelle perte de temps, ce jeu de coucou ! se disaient-ils.

Et puis, comme si cela ne suffisait pas, le grand-duc vint se percher aussi tout près et se mêla de la situation.

  • Le petit sous son masque orange, regardez bien
  • Et bien quoi dirent les parents
  • Ça y est ! il a les yeux en face des trous !
  • Vous croyez grand-duc ?
  • Ah oui ajouta Dictum
  • Moi j’aime jouer et surtout partager mes jeux dit le petit qui regardait chacun de ses parents avec les yeux parfaitement à leur place !
  • Merci dirent en cœur les deux mésanges !
  • Merci de quoi ? demandèrent Grand-duc et Dictum nous n’y sommes pour rien. Ce sont les jeux qu’il a trouvés… et puis entre nous, il nous fait tous bien rire.
  • Tout de même c’est vous, Madame, qui avez pensé à apporter des épluchures de clémentines
  • Oh, mais si vous n’étiez pas si occupé avec tout ce que vous avez à faire ! Vous les auriez apportées aussi, mais dans un nid, il ya beaucoup de travail !
  • Oh ! il a commencé à voler ça y est !
  • Et bien il en a pris des forces derrière son masque à rigolade !

Le petit demanda à ses parents s’il pouvait encore garder son masque en épluchure de mandarine. Ils répondirent que oui et que d’ailleurs c’était bientôt carnaval et qu’il avait raison de leur rappeler qu’il fallait y aller ! Et puis le père se dit qu’aux brindilles de lavandes qu’il y avait déjà dans le nid, il pourrait bien ajouter des petits morceaux de mandarine. Cela le parfumerait davantage et découragerait les parasites de venir sur leurs plumes. C’est pourquoi, depuis, dans cette forêt, lorsque quelqu’un n’a pas les yeux en face des trous, tout le monde attend en racontant l’histoire d’un oisillon qui voulait s’amuser et qui pensait que pour avoir des idées, il faut d’abord que tout soit un peu dérangé. Il faisait n’importe quoi comme tirer sur sa peau ou encore plein d’autres choses. Et puis le jour où il partagea, tous ses jeux qu’il avait inventés, ses yeux se remirent tranquillement en face des trous !

Les deux mésanges se dirent qu’au printemps prochain, comme elles s’aimeraient toujours, elles auraient encore beaucoup d’enfants qui auraient ou n’auraient pas les yeux en face des trous !

 

Illustration Molly

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3 commentaires

  1. Une belle découverte. C’est original et tendre. L’écriture porte le lecteur sur un nuage d’où il observe l’histoire. Les illustrations sont superbes. On aurait envie de voir tout ça dans un beau livre chez notre libraire pour pouvoir l’offrir à Noël.

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