Il était une fois une souris qui s’appelait Nina. Chaque semaine, elle était championne de natation. Chantal, son coach, l’encourageait et l’avait installée chez elle. Elle dormait dans une petite mallette avec tout le confort et chaque mardi et chaque vendredi, elle sautait dans une piscine, sous le regard d’un jury. Sa technique n’avait pas d’importance, il fallait nager longtemps, et avoir surtout assez de force pour sortir du bassin toute seule. Il y avait d’autres concurrents, mais elle était toujours la première arrivée. Elle faisait ses performances et vivait douillettement dans l’appartement de Chantal où il y avait toujours quelque chose de bon à grignoter. Malgré ce confort, elle se languissait. Elle aurait voulu une autre vie… Un jour qu’elle visitait un placard, elle trouva un tunnel et commença à l’explorer… L’odeur du plâtre et du bois lui plaisait ! Elle se rendit compte qu’il y avait au bout de ce conduit… un autre logement. Elle était sur le point d’y poser la patte quand elle fut joyeusement interpellée :
Moi, je m’appelle Nino, et toi ?
Nina ! dit-elle toute surprise et intimidée, avant de rebrousser chemin.
Elle trouvait qu’il était très beau, mais rentra vite chez elle. Cependant, elle eut le temps de l’entendre clamer :
Je suis pragmatique !
Et elle eut le temps de répondre :
Je suis olympique !
Elle ne comprenait pas ce qu’ils étaient en train de se dire, et cela lui plut. Le lendemain, Nino vint la voir et au bout de deux jours, ils ne se quittaient plus. Ils aimaient se promener sur les mêmes points de vue et ils riaient des mêmes choses. Ils s’installèrent à l’intérieur d’un grand morceau de brioche qu’ils avaient poussé dans un recoin. Ils s’y sentaient très bien. Nina n’avait rien dit à Chantal et chaque mardi et chaque vendredi, se mettait en maillot de bain dans sa mallette pour être emmenée à la piscine. Pendant ce temps-là, Nino l’attendait.
Un mardi, alors qu’elle devait traverser à la nage un de ces bassins, comme d’habitude, Nina se retrouva, cette fois, la dernière… malgré tous ses efforts ! En sortant de l’eau avec beaucoup de difficulté, elle confia à sa maîtresse qu’elle avait bien cru ne jamais finir la course !
Chantal soupira, pleura, posa tristement Nina dans son petit panier de voyage et ne lui adressa plus la parole. Lorsque l’amoureuse raconta ce qui lui était arrivé. Nino s’inquiéta et lui demanda :
Es-tu sûre d’avoir envie de retourner nager ?
Je ne veux pas décevoir Chantal ! répondit-elle
Gagner, gagner, ça ne fait pas une vie ! Tout ça m’inquiète. Est – ce que tu lui as parlé de notre secret ?
Non, je n’ai rien dit, parce que je dois continuer pour avoir de bonnes notes !
Alors la prochaine fois, si tu es d’accord, je me cacherai pour venir avec toi et s’il le faut, je lui parlerai !
Trois jours plus tard, Nino était blotti sous une petite serviette éponge et regardait tout autour de lui. Au moment où sa bien-aimée plongea, il remarqua le visage crispé de Chantal et décida qu’il devait aller s’asseoir près d’elle.
Nous allons l’encourager n’est-ce pas ? dit-il
Oui, mais si elle fait encore une mauvaise performance…
Oui, mais nous allons l’encourager n’est-ce pas ? insista Nino.
Il faut absolument qu’elle ait la force de sortir toute seule même si la course n’est pas bonne, sinon…
Sinon quoi ?
Si elle est n’est pas bien placée sur l’échelle d’évaluation… Le laboratoire la prendra…, on risque de ne plus la revoir…
Ah ! Chantal ce n’est pas possible ! Écoutez-moi ! Je dois vous confier notre secret… Nina est gravide, c’est pour cela qu’elle nage moins vite !
C’est une catastrophe ! Si elle n’a pas la force de sortir, je ne pourrais rien faire, car mon métier c’est d’évaluer la performance des souris. Je dois donner des notes !
Vous devez donner des notes et vous ne pouvez pas donner d’explication, c’est cela ?
Oui !
Mais Chantal, comme moi, vous aimez Nina ?
Oh oui, je l’aime beaucoup ! tant qu’elle était championne elle pouvait vivre à la maison. Elle était toujours sur le premier barreau de l’échelle, c’était formidable… mais si elle est perdante, si elle a maintenant de mauvaises notes, le laboratoire ne voudra plus que je la remmène chez moi. Personne n’écoutera les explications…
Vous savez Chantal, être gravide, c’est merveilleux !
Oui, si elle survit, j’ai peur… mais j’y pense, il y a peut-être une solution : vous, vous pourriez la remplacer ? Est – ce que vous êtes bon nageur ?
Je suis excellent nageur ! Mais non, je ne remplacerai pas Nina. Je ne peux pas me le permettre puisque je vais devenir Papa ! D’ailleurs, je ne veux plus non plus que mon amoureuse fasse ce genre de course… c’est stressant pour vivre de devoir faire absolument partie des gagnants !
À ce moment, on entendit une voix dans un haut-parleur qui demandait à Chantal de venir chercher Nina qui commençait à manquer de souffle dans la piscine. Cette grosse voix ordonnait aussi de déposer Nina dans un bocal du laboratoire. Désespérée, Chantal s’écria :
C’est affreux Nino…
J’ai une idée ! déclara courageusement le petit amoureux.
Il grimpa sur l’épaule de Chantal et lui murmura son plan à l’oreille. D’un bond, ils allèrent chercher, près du podium et du jury, une grande échelle d’évaluation, en bois avec des barreaux bien solides. Ils l’approchèrent du bassin. Mais, au lieu de la tenir à la verticale comme on le fait pour désigner l’ordre des gagnants, Nino recommanda à Chantal de la plonger parfaitement à l’horizontale. Ce qu’elle fit avec beaucoup d’attention. Il y eut un grand silence. Nina s’agrippa en douceur à l’un des barreaux, c’était le numéro dix ou douze, mais cela n’avait plus aucune importance. Elle s’y reposa et réussit tranquillement à finir sa course puis à sortir de l’eau, totalement apaisée. D’autres concurrents firent la même chose. Tout le monde était soulagé, vraiment cette échelle d’évaluation posée à l’horizontale, quel trésor ! c’était formidable ! Il n’y avait plus de premiers ni de derniers !
Ouf !
Ce soir-là, c’était le 24 décembre, tous les trois se retrouvèrent autour d’un bon repas qu’ils avaient préparé, ensemble. Au dessert, Chantal se leva et déclara gaiement : Je suis contente d’être avec vous mes amis ! je porte encore un toast à Nino grâce à qui nous aurons maintenant des échelles d’évaluation qui ne donnent plus de mauvaises notes, qui ne donnent plus envie de pleurer et qui donc, ne risquent plus jamais de gâcher la fête de Noël !
Et, une semaine plus tard, ils étaient tous réunis à nouveau pour manger de bons gâteaux. Ils étaient heureux de penser à la nouvelle année et aussi à la naissance des souriceaux qui, à leur tour, connaîtraient la joie et la paix, loin des piscines de laboratoire ! Des petits à qui, avec plaisir, on raconterait des histoires…
Un commentaire
quelle jolie histoire et si triste… elle peut s’appliquer autant aux animaux qu’aux humains!